Oui, je sais, j’ai laissé un moment s’écouler sans prendre ma plume... Oh, je ne vous ai pas oublié(e)s, non ! Si j’ai délaissé ma plume le temps d’un instant, ce n’est que pour revenir à mes amours premières : la beauté et son histoire. Je me suis en effet consacrée, dans le plus grand secret, à l’élaboration d’une seconde gamme de soins qui j’espère ravira vos narines délicates autant que votre peau. Désireuse comme toujours de respecter au mieux les secrets de beauté d’antan, j’ai pour ce faire eu le privilège travailler main dans la main avec le Potager du Roi à la réintroduction d’une variété de concombre disparue depuis des siècles ! Car c’est bien sur cette cucurbitacée à qui l’on prête de nombreuses vertus en cosmétique que j’ai jeté mon dévolu. L’occasion rêvée pour revenir sur son histoire en cosmétique… Et vous dévoiler 4 versions de la renommée pommade de concombre en 4 recettes :
Le concombre en cosmétique, d’Hippocrate aux Lumières.
Si aujourd’hui, l’usage du concombre en cosmétique nous semble une évidence, c’est une coutume qui remonte à la nuit des temps ! La médecine hippocratique des contraires lui prêtait déjà en effet des vertus pour tempérer, calmer et rafraîchir la sécheresse et l’ardeur des humeurs, tout comme la courge, le melon et la citrouille. Ce sont d’ailleurs ces vertus qui leur valurent le nom des « quatre semences froides ».
Pendant un temps, il a ensuite semblé tomber en désuétude : ce n’est qu’au XVIe siècle qu’il fut remis au goût du jour en cosmétique ! Ainsi, le médecin Jean Liébault recommande pour contrer le hâle laissé par le soleil la confection puis l’application d’un onguent à base de concombre.
Planche botanique d'une variété de concombre du XVIIIème siècle : le concombre blanc de Bonneuil
Dès le siècle suivant, le concombre redevient un actif phare des préparations cosmétiques destinées à rafraîchir et adoucir la peau, sinon à la blanchir. C’est ainsi que distillé, il intègre maintes formules d’eaux cosmétiques. Et, surtout, il s’impose comme ingrédient principal dans la fabrication d’émulsions pour la peau et de pommades propres à ôter les rougeurs, à entretenir et à rafraîchir le teint.
Et ensuite ? Au XVIIIe siècle, l’heure n’est plus aux eaux distillées : si le concombre laisse une sensation de fraîcheur, les parfumeurs savent d’expérience que la distillation favorise la perte de ces « principes actifs ». Cette cucurbitacée ne sert donc plus alors qu’à la confection de pommades éponymes. Celle que l’on prénomme désormais « pommade de concombre » connait alors son apogée, élevée au rang de véritable standard de la cosmétique des Lumières, et reconnue comme tel par la communauté scientifique de l’époque.
La pommade de concombre en 4 recettes
Comme beaucoup de préparations cosmétiques de l’époque, si la pommade de concombre en tant que produit standard fait consensus au XVIIIe siècle, il en existe de nombreuses recettes ! Je vous en ai donc sélectionné un florilège qui devrait vous permettre de vous en faire une première idée. Ames sensibles s’abstenir : toutes sans exception contiennent de la graisse animale (utilisée ici comme excipient) …
1. La pommade pour ôter les rougeurs et rafraichir le teint de Simon Barbe
C’est au parfumeur Simon Barbe que l’on doit cette version de la pommade de concombre, qu’il préconise pour ôter les rougeurs et rafraichir le teint. Il la combine pour cela à de l’huile d’amande douce et de la cire vierge :
« Vous ferez blanchir dans l’eau une livre de panne de porc mâle en la faisant tremper par plusieurs jours, comme je l’ai expliqué ci-devant, et étant égouttée vous la mettrez dans un pot de terre neuf avec une once et demie des quatre semences froides pilées, deux ou
trois pommes de rainette coupées en morceaux, un morceau de rouelle de veau grand de quatre doigts ; vous ferez bouillir le tout au bain-marie pendant quatre heures, ensuite vous passerez votre pommade par linge bien serré, et vous laisserez tomber la coulature (sic) dans une terrine que vous mettrez après sur les cendres chaudes, y ajoutant une once d’huile d’amande douce et une once de cire vierge blanche, le tout étant fondu et mêlé vous le retirez du feu, battant cette pommade avec la spatule jusqu’à ce qu’elle soit froide et elle sera faite. »
2. La pommade de concombres de Pierre-Joseph Buc’Hoz
Le médecin botaniste Pierre-Joseph Buc’Hoz associe quant à lui le concombre au melon et aux pommes de reinette pour confectionner sa pommade !
Recette de Buc’Hoz, « Laboratoire de Flore », 1771
3. pommade de concombre de Pierre-Antoine Baumé
13 ans plus tard, le pharmacien Antoine Baumé nous livre une recette assez similaire de la pommade de concombre :
Prenez graisse de porc deux livres, concombre et melon bien mûrs ensemble six livres, verjus une livre, pommes de reinette N° 4, lait de vache deux livres. On coupe grossièrement la chair des melons, des concombres et des pommes de reinette. On sépare les écorces seulement ; on écrase le verjus. On met toutes ces choses dans le bain-marie d’un alambic, avec le lait et la graisse de porc. On fait chauffer ce mélange au bain-marie pendant huit ou dix heures : alors on passe avec expression tandis que le mélange est chaud. On expose la pommade dans un endroit frais pour la faire figer : on la sépare de l’humidité qui se trouve dessous : on la lave dans plusieurs eaux jusqu’à ce que la dernière sorte claire. On fait refondre cette pommade au bain-marie à plusieurs reprises, pour la séparer de toutes ses fèces et de toute son humidité, sans quoi elle rancirait en fort peu de temps : on la conserve dans des pots. On fait encore une pommade simple de concombre en faisant chauffer ensemble de la graisse de porc et des concombres pelés et coupés par morceaux : on procède pour le reste de la préparation de cette pommade comme pour la précédente et on la conserve dans des pots. L’une et l’autre de ces pommades sont cosmétiques ; elles servent à adoucir la peau et à la maintenir dans un état de souplesse et de fraîcheur .
Recette d’Antoine Baumé, « Éléments de pharmacie théorique et pratique », 1784.
4. La pommade au concombre de Marie-Amande Gacon-Dufour et Jeanne d’Humières
Autre siècle, autres méthodes : si Marie-Armande Gacon-Dufour et Jeanne d’Humières, auteures du « Manuel du parfumeur », ont toujours recours à des ingrédients animaux, elles délaissent toutefois la panne de porc utilisée par Simon Barbe, jugée trop « corruptible », au profit de la graisse de veau. Hormis cet ingrédient, leur pommade ne contient que du concombre et seulement du concombre, les autres essences étant supposées inverser son effet rafraichissant :
Recette de Marie-Armande Gacon-Dufour & Jeanne d’Humières, « Manuel du parfumeur », 1825
Comme vous avez pu le constater au travers de ces 4 recettes, la pommade au concombre a donné lieu à de nombreuses variantes, revisitées et perfectionnées au fil du temps. Aujourd’hui, je suis désireuse à mon tour de vous inviter à bénéficier des trésors de vertu dont recèle cette cucurbitacée… Et qu’il me tarde de vous présenter ces cosmétiques que j’ai pris tant de soin à vous concocter ces derniers mois !